Un mariage en Cappadoce : traditions et double-identité

Posted on Août 20, 2008 in Cappadoce, Expédition 2008, Turquie

«Mais où sont les femmes?» En ce vendredi matin, pas une femme en vue dans les rues d’Ozkonak, petit village de Cappadoce. Nilay, notre traductrice et amie turque, en découvre vite la raison: les femmes préparent en ce moment le mariage d’Abdullah et de Cigdem, et en tant que touristes étrangers, nous sommes immédiatement invités au «repas des hommes».

Les femmes autour du repas


Le banquet a lieu au domicile du marié. Deux femmes voilées en costumes traditionnels viennent à notre rencontre. Mais c’est en français qu’elles s’adressent à nous. Marina est française, mariée à un Turc, et sa belle-sœur Muserref vit en France depuis (presque) toujours. Elles portent aujourd’hui le foulard et le sarouel pour ne pas «faire d’histoires dans le village» et aussi comme marques de respect aux mariés.
Marina et MuserrefLes «grands enfants» de Muserref, Levent- 21 ans, Ihsan- 18 ans et Bahagdir- 17 ans, nous rejoignent. Nous nous sentons immédiatement à l’aise dans cette famille franco-turque. Ils nous expliquent les étapes de ce mariage traditionnel. «Abdulah et Cigdem se connaissent depuis un an. Il est agriculteur. Là, c’est le repas des hommes. Tous les hommes du village sont invités par haut-parleur afin de n’oublier personne!»


Après le repas, les hommes partent en tracteur promener le marié dans le village, puis le couple se rend à la mairie. Les hommes proches du conjoint se réunissent chez lui pour faire la fête, les femmes se rendent chez la conjointe pour la cérémonie du henné. Le samedi matin, ce sont les préparatifs de la fête: coiffeur et photos au programme. Dans l’après-midi les hommes vont chercher la mariée chez elle, puis tout le cortège se rend sur le lieu de la fête nocturne.

Muserref explique qu’elle se sent un peu touriste ici, même si elle y a toute sa famille. Elle vit en France, à Saint Dizier. Elle y a rejoint son père à l’âge de huit ans, grâce au regroupement familial. C’est là qu’elle a connu son mari, puis ils se sont mariés en Turquie, à 17 ans. Lui est d’Ozkonak et elle d’Avanos, deux villages de Cappadoce situés à une vingtaine de kilomètres l’un de l’autre. C’est ainsi qu’ils se sont rapprochés, étant originaires de villages voisins: «C’est naturel, nous dit-elle, comme on est naturellement venus vers vous parce que vous êtes des Français en Turquie».

Aujourd’hui, Muserref ne se sent ni Française ni Turque: «On n’est bien nulle part». Pour la retraite, elle voudrait partager son temps entre la France, l’hiver, et la Cappadoce, l’été. Elle ne souhaite pas s’installer définitivement en Turquie. Non seulement elle se sent trop proche de la culture française, mais elle ne veut pas connaître les mêmes problèmes que son père malade, avec la sécurité sociale qui ne coopère pas, ou mal, ou trop lentement, avec la Turquie.

Si elle n’a jamais demandé la nationalité française, ses enfants, pour le coup, sont français. La Turquie, c’est pour les vacances et pour les nombreux cousins et cousines avec qui ils partagent leurs étés depuis l’enfance. Mais leur vie est en France. Ils y font leurs études, y ont tous leurs amis et leur avenir. Sauf, peut-être, leur future femme.

Le lendemain soir, nous retrouvons Muserref, robe occidentale et maquillage discret, et toute sa famille, pour une soirée de danse et de rires. Dans ce «mariage villageois» se côtoient toutes sortes de styles, à l’image de la Turquie d’aujourd’hui: de la robe de soirée très moulante et sans manches aux vêtements amples et au voile qui couvre soigneusement les cheveux, du tailleur bien de chez nous à la jupe fleurie des paysannes… Du côté des hommes, l’ensemble chemise-pantalon très classique fait à peu près l’unanimité. Tout ce beau monde se mélange sur la piste – même si la plupart préfèrent rester assis – et accueille joyeusement les étrangers que nous sommes.

L’hospitalité, l’affection et la spontanéité de mes hôtes me renvoie à la peur de l’autre si présente en France. C’est pour moi une leçon de savoir-vivre mais surtout un regard humain sur les parcours de l’immigration et de la double identité.

Fanny

Août 2008

Retrouvez les photos de Cappadoce sur Flickr.

One Comment

  1. la double identité… mais au lieu d’avoir deux chez soi, « on est bien nulle part », parce qu’on est étranger partout et que notre vie est toujours ailleurs. C’est ce que Abdelmalek Sayad nommait « la double absence »
    Plein de bises à vous.