Ciurea: des palais tziganes en Moldavie

Posted on Juil 26, 2008 in Expédition 2008, Roumanie, Roumanie - Iaşi

On les aperçoit du train avant d’arriver à Iasi. Sur la droite, des toits en fer ciselé se détachent sur la colline, coiffant des maisons surchargées de décoration. Telle une apparition, ce groupement de petits châteaux farfelus détonne au milieu de la campagne roumaine.

Voici Ciurea, village moldave, situé dans la région la plus pauvre de Roumanie [prononcer «Tchiourea»]. Ciurea, comme la plupart des villages roumains, est scindé en deux: une partie roumaine d’un côté, et de l’autre côté de la voie ferrée, bien en vue sur les hauteurs, une partie tzigane.

C’est là que vivent les Stanescu, ou du moins l’une des branches de cette famille de gitans réputés fortunés. Du plus petit au plus âgé, tous les habitants du village portent le même nom de famille. Ils habitent des villas opulentes, qu’ils entourent de grilles en fer forgé, et

couvrent de fresques ou de couleurs criardes – mais les habitent-ils vraiment? Des gadjis – non-tziganes – nous disent que non, qu’ils dorment à côté et ne s’en servent que pour recevoir, ou comme faire-valoir. Démonstration de richesse, goût pour le luxe ou l’apparence, véritables lieux de vie? Malgré l’amabilité des habitants, nous ne parviendrons pas à visiter de maison, si ce n’est un hall d’entrée tout aussi kitsch que la façade, chacun prétendant ne pas avoir les clefs.

Le contraste est saisissant avec les conditions de vie précaires des gitans que nous avons l’habitude de croiser en France. Entre méfiance et fierté, les Rroms de Ciurea entretiennent un mystère que deux visites ne nous permettront pas de dissiper.

Voici trois rencontres, trois regards croisés sur une communauté à laquelle nous nous sentons bien étrangers.

Entre rêve, cauchemar et réalité

Jupe à fleurs haute en couleurs, cheveux tressés et fichu sur la tête, à l’entrée du village tzigane, une jeune fille vient à notre rencontre. Elle sera notre ange gardien pendant toute la visite de Ciurea. A mesure que nous grimpons sur la colline, au milieu des demeures gigantesques, Brandusa nous conte son histoire.

Il était une fois une petite fille qui, abandonnée par ses parents, grandit dans un orphelinat jusqu’à l’âge de 18 ans. Pendant toutes ces années, elle était habillée comme n’importe quel autre enfant roumain, n’imaginant à aucun instant qu’elle pouvait être différente. A sa majorité, on la ramena à Ciurea. Elle y découvrit sa famille et son identité tzigane. A 22 ans, un homme de la communauté l’enleva, le mariage fut aussitôt prononcé. «Ils se marièrent mais n’eurent aucun enfant…». Brandusa nous avoue même avoir un amant.

On est loin du conte pour petite fille. Histoire vraie ou fabulation d’une enfant malheureuse, peu importe, la réalité est que Brandusa vit ici, mais rêve d’être ailleurs. Si d’un coup de baguette magique, la brouette du jardin pouvait se transformer en avion, elle partirait volontiers en France avec nous.

Mihai, celui qui se prétendait chef du village

Mihai Stanescu et son fils, Dragus Stanescu, gardent une maison en chantier en bordure de Ciurea. Dragus n’a que 10 ans, mais se marie l’an prochain. La maison lui est destinée. D’après les explications de son père, les enfants d’ici se marient vers 12-13 ans. Les parents du garçon fournissent la voiture et la maison, ceux de la fille 100 pièces d’or.

Les premiers Stanescu de Ciurea seraient arrivés en caravanes il y a une soixantaine d’années et la construction de ces petits palais remonterait à 30 ans seulement. Certains sont inachevés, comme s’il s’agissait de carcasses vides. Les routes sont toujours en terre. La surface moyenne d’une maison: 600 mètres carrés au sol, 1200 mètres carré au total. Mihai justifie les toits en étages en évoquant la mode chinoise, les pagodes sans doute. Avec ses tourelles, ses petites flèches pointées vers le ciel, elle nous fait plutôt penser à certains châteaux roumains.

Des villages de ce type, la Roumanie en compterait plusieurs – entre 3 et 6 selon nos informations, toujours des fiefs Stanescu. Certaines demeures arborent fièrement sur leur fronton le logo de Mercedes, qui s’avère également un prénom très courant pour les filles.

Les habitants de Ciurea ne semblent pourtant pas baigner dans le luxe. Les jeunes, certes, apportent un soin particulier à leur apparence, tels ces deux ados, sourire au coin des lèvres et regard ténébreux à l’appareil photo: tout de blanc vêtus, chemise au col relevé, mocassins au pied, lunettes de soleil, croix en or autour du cou.

Les femmes ont toutes deux longues tresses noires qui leur encadrent le visage, un foulard noué derrière la tête et des jupes fleuries, longues elles aussi. Jeunes, elles pourraient être mannequins; passé l’âge du mariage, elles grossissent irrémédiablement. Les hommes, enfin, portent le chapeau et ressemblent à n’importe quel paysan en habit de travail. Quant à leur travail justement, et à la source de leur revenu: «Ferraille et business», répond Mihai. Nous n’en saurons pas plus.

Lacry, la rebelle

Pas jolie au point d’en être difforme, pas plus haute qu’une enfant de 10 ans, pas mariée, pas habillée comme les autres filles… Bref, pas comme les autres. Lacry, 30 ans, part en Suisse rejoindre sa troupe de cirque dans quelques jours.

Mise à l’écart par sa malformation, elle ne s’est pas mariée à l’âge ou d’autres jouent encore à la poupée. Et puis, quand on ne peut pas plaire, a quoi bon porter ces longue robes colorées qu’elle dit ouvertement détester? Loin d’en être affligée, elle semble s’épanouir dans ce rôle qu’elle s’est forgé, comme une réponse psychique à sa différence physique. Dénuée de charme mais dotée d’un caractère bien trempé, «Lacry la rebelle» veut parler et non paraître, se sent moderne et, summum de sa rébellion, porte des pantalons.

«Regardez comme elle est jolie, c’est la plus belle!»: Lacry exhibe fièrement sa nièce, prénommée Gardina (Jardin). Vêtue d’un orange chatoyant, jupe longue et décolleté plongeant, la belle plante du village reste muette et se cantonne à son rôle de potiche. Tout le contraire de Lacry, un moulin à paroles qui baragouine dans quatre langues, en plus du roumain et du Rromani (la langue des Rroms). Toujours sur le départ, Lacry clame fièrement sa désobéissance aux règles. Contre la volonté de son père, pourtant chef du village, elle est partie de chez elle assez jeune pour rejoindre une troupe franco-algérienne. Pendant huit ans, elle a tourné en France, en Italie, au Portugal. Lorsqu’elle rentre au bercail, elle loge chez son frère et non chez ses parents.

«Je n’aime pas cet endroit», ne cesse-t-elle de répéter. Elle s’apprête à repartir dans quelques jours pour la Suisse. Fuyant le destin tout tracé des femmes de Ciurea, elle invente son propre chemin à mesure qu’elle voyage, à rebours d’une communauté fermée sur elle-même, méfiante face à l’étranger et rétive au changement.

Histoires racontées par Anna, Charlotte et Floriane

PS: voir les photos de Ciurea sur Flickr!

4 Comments

  1. interssant, mais y-at’il d’autres communautés du même type (question du nom …) les mariages sont-ils endogamiques, ce qui pose à la longue des pbs de consanguinité ou se font-ils entre communautés différentes ?
    y-a-il des animaux ? évidemment la question de l’origine des ressources est fondamentale et c’est le grand silence ? est-ce inquestionnable à partir des lectures ou informations ou films quevous avez pu découvrir ?
    a combien de personnes est estimé l’ensemble des la communauté Rrom, par rapport au reste de la population ? ont-ils des contacts avec les rroms voyageurs ? voyagent-ils tous ou non ?

    question ortho: des robes « fleuries »

  2. Les marriages sont surtout endogamiques, cette communaute regroupant les tziganes du departement de Iasi, Roumanie. Dans la region moldave il y a plusieures communautes similaires, mais elles sont eloignees l’une de l’autre de telle sorte que l’endogamie est inevitable. Le choix du marriage se fait par les parents (des accords strategiques qui peuvent exister meme avant la naissance des epoux) qui doivent bien se connaitre, ce qui est evidement possible plutot s’ils vivent dans le meme village. En plus, les etablissements peuvent avoir des regles qui ne correspondent pas toujours. Des problemes de consanguinite sont peu probables parce qu’il s’agit de grandes communautes ayant une garde sociale stricte.
    Il y a rarement des animaux, ils ne semblent pas avoir l’habitude de l’elevage, peut etre lie a leur origine nomade.
    La question des ressources est un mystere meme pour leurs voisins, les Roumains. Beaucoup d’entre eux voyagent, comme la tendance migratoire generale de la Roumanie l’impose.
    Ils sont de gros consommateurs de status. Ils voyagent et gagnent de l’argent pour s;acheter des maisons et des voitures et font tout le possible pour que ce soit les plus cheres et belles, c’est une question de fierte. Meme s’ils n’ont pas assez d’argent pour bien manger ou se loger, les vetements et la voiture (les indicateurs visibles de status) sont tres importantes.
    D’autres questions?

    • Merci Ada pour tes commentaires éclairés. Il y a juste le mot status que je ne comprends pas. Tu veux dire statut social?
      Tu connais bien les communautés Roms de Roumanie?
      Charlotte

  3. Très intéressant et hors norme. De quoi vivent-ils, ces « riches » roms qui n’entrent pas dans leur maison ? Merci pour ces infos. me permets-tu un lien sur mon blog? Merci. Hélène Larrivé